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Le feuilleton du reptile

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14 février 2011

Episode 10

De cervelières en casques de moto

 

       Je fends la nuit dans un silence que je m'applique à laisser le plus vierge possible. Mon adresse est encore loin d'être infaillible, je me prends encore à le déflorer d'un pied trop appuyé ou mal adapté à la surface que je piétine. Je me dis qu'au moins, je ne piétine pas sur place, tel que cela a été le cas les deux dernières semaines. Instructives, mais longues. Surtout quand elles sont émaillées de rêves affreux où je vois mon amour dans les pires affres de la souffrance. Je serais parti bille en tête je ne sais où à sa poursuite, si le vieux plein de poils n'avait pas été aussi convaincant quant à la certitude de faire chou blanc, et même de prendre des risques inconsidérés si je ne me préparais pas aux périls qui m'attendaient. La sculpturale pépée de mes vagues souvenirs m'a dit de me fier à la bande qui m'a récupéré. J'ai donc longuement devisé avec le papy allumé, velu, puant et alcoolique qui s'avère être le chef de la bande de ZZ-top surarmés qui m'ont ramassé en état de mort clinique avec une balle de 357 magnum dans le citron. J'ai eu au cours  de cette très longue discussion l'occasion d'apprendre que je suis toujours en état de mort clinique, mais que le fameux projectile s'est dissous, et que ses semblables ne menacent pas mon séjour ici-bas. Je commençais à vrai dire à m'en douter un peu.

  D'après ses dires, le vieux et ses petits potes sont une organisation laïque qui poursuit peu ou prou les buts de l'inquisition moyennâgeuse, avec estime-t-il moins de dérives dûes au folklore catholique. A voir sa tronche et celle des bonshommes qui l'entourent, j'aurais en effet été étonné qu'il se prétende pratiquant. Chacun d'eux a son histoire, mais la constante est un passé de Hells Angel ou approchant, ayant reçu une illumination apportée par le poids des années ou les excès d'hallucinogènes en tous genres. L'essence de mon être, que je ne parviens d'ailleurs pas encore à définir, semble montrer que cette révélation faite à chacun n'était pas que du flan. D'après eux, deux forces antinomiques se disputent la suprématie sur la destinée terrienne. Paradoxalement, cette humanité qu'ils cherchent à conduire est traitée avec un mépris de l'individu extraordinaire, mépris qui semble d'ailleurs s'étendre à l'égard de l'espèce entière. Avec le pouvoir de créer des zigs comme moi, on peut se demander pourquoi ils se livrent une guerre sans merci juste pour savoir qui sera le patron de la maison Terre. C'est un peu comme si Michael Schumacher et Sébastien Loeb se chamaillaient pour savoir qui prendra le volant de la 104. Du reste, ils ont chacun un volant et l'enjeu est la direction à prendre, sachant que la marche arrière n'est pas exclue. Le tout sans grand ménagement pour la mécanique et les pare-chocs. Tout ça réuni donnerait le joyeux boxon où je patauge comme chacun de mes ex-congénères. Parce que je ne suis plus comme eux. J'ai été promu, moi. De poussière sur la carrosserie tout juste bonne à être écrasée contre un arbre, je suis devenu une sorte d'engrenage de boîte de vitesse, ou un truc comme ça.


       C'est en tous cas ce qui m'a été rapporté par le Mathusalem bardé de cuir, bien qu'il ait usé de termes et d'images un peu moins relatifs à la mécanique des véhicules à quatre roues. J'ai ensuite eu droit à un cours d'histoire m'informant que son “ordre” est l'héritier d'un véritable ordre de moines-guerriers créé vers 1110 et réunissant l'élite des combattants sans charge nobiliaire des Pauvres Chevaliers du Christ. Cette milice devait du reste devenir l'ordre des Chevaliers du Temple dix ans plus tard. Les guerriers ponctionnés chez le Pauvres Chevaliers (en réalité plutôt riches) étaient dévolus à la protection des dignitaires ecclesiastiques romains en déplacement hors de Rome. Ils furent placés sous l'égide directe du pape Calixte II en 1121, à l'occasion du siège de Sutri, où tous les hommes furent mobilisés pour déloger l'antipape Grégoire XIII. Basé pendant trois ans à Saint Jacques de Compostelle, l'ordre fut menacé d'être dissous en 1124 à la mort de Calixte, son successeur ayant décidé pour le début de son pontificat que la vocation de la bible était davantage d'être lue que d'être utilisée comme objet contondant (il modifia son jugement par la suite, approuvant l'ordre des Templiers quelques années plus tard). La bande de joyeux et pieux soudards passa alors sous l'autorité de Renaud III de Bourgogne, neveu de ce pape issu de la famille des comtes de Bourgogne. Subventionné discrètement par le Saint-Siège, le commando avait alors pour mission d'enquêter et d'assassiner sans mouiller la robe immaculée du Pape. Les hommes se forgèrent et se transmirent l'expérience des actions commandos, violentes et discrètes, de l'art du vol, de l'infiltration, de la barbouze, en somme. Ils eurent alors au cours des deux siècles suivants l'occasion de rencontrer des cibles particulièrement difficiles à tuer par les moyens conventionnels tels que le tranchage de carotide, le défonçage de crâne ou le grand classique qu'est la riante éviscération. Ils mirent alors au point des techniques d'occision pour ces être à la vivacité de roncière (décollement comme pour les nobles, plaquage des armes à l'argent, embrochage de coeur avec du bois vif ou de l'argent, etc...), et devinrent de redoutables chasseurs. Vivement intéressé par les compétences de ces hommes, Philippe V de France, époux de Jeanne II de Bourgogne, fit passer la tutelle du groupe de la maison de Bourgogne à celle des Capétiens. A la mort de Charles IV le Bel, fils de Philippe V, l'intérêt d'une telle cellule n'échappa pas à Philippe VI, pourtant stratège du dimanche. Passée ainsi aux Valois, la fameuse cellule resta plus généralement au service de la Maison de France jusqu'à la fin du règne des Bourbons, en 1789. Branche spéciale des services secrets du roi, indépendante du Cabinet Noir, les révolutionnaires n'eurent même pas connaissance de son existence, ou alors trop peu de temps avant de mourir pour l'ébruiter. Son capitaine, laïc et roturier, prit la décision de poursuivre l'activité du service d'une manière encore plus opaque et souterraine, s'il était possible de l'être plus. Détaché des missions d'Etat, le groupement ne s'occupa plus que de la chasse aux créatures qui prendraient le nom de vampire au XIXème siècle. Au cours de ce même siècle, nombre de recherches furent effectuées pour accroître un savoir qui était avant tout technique (et raisonnablement meurtrier), et pour compiler celui qui paraîssait moins rationnel. Ce fut paradoxalement avec le déclin de l'influence catholique que le mysticisme se développa au sein de l'organisation qui commença à faire usage de médiums et d'exorciseurs après 1850. Le XXème vit la fin de l'emploi de ces derniers en raison des résultats un peu plus probants, bien que moins nuancés, des redoutables équipes d'assassins. Comme toute organisation secrète efficace, elle était et est toujours divisée en cellules qui ne se connaissent pas les unes les autres, et qui ont un seul interlocuteur extérieur. L'indépendance totale implique par ailleurs que chaque cellule subvienne elle-même à ses besoins.

          La cellule qui m'a recueilli fut quant à elle créée en 1954 et eut deux chefs. Le premier était un délinquant de l'extrême, motard archi-tatoué, ultra-violent. Il était presque aussi redouté des clans ennemis que des bouteilles de whisky. Les flics eux-mêmes ne tentaient rien contre lui à moins de dix renforts bien costauds. La révélation avait traversé son mètre quatre-vingt-dix et ses cent trente kilos un beau matin d'octobre alors qu'il croupissait en taule. Sorti de là, il fut contacté et fut sommé de servir la cause. Pour la première fois de sa vie, il accepta un ordre et mit son gang en action. Réticents au début, les peu recommandables drilles trouvèrent leur compte en réglant celui des vampires, puis en continuant de piller de temps à autres, afin de ne pas perdre la main et de trouver de quoi entretenir leur ébriété et leurs bécanes. La bande se fit rapidement une réputation dans le milieu des chasseurs et de ceux qui n'étaient ni vivants ni immodérément morts. On craignait surtout leur chef, plus grand, plus fort, plus violent, plus fervent et plus tordu que les autres. Un soir qu'il chassait seul, en quête d'un fait d'armes bien sauvage, il vit venir sa fin après qu'il se fut mis en tête de massacrer quatre ou cinq créatures de la nuit. Il procéda selon ses goûts habituels, à savoir le ripolinage de face à coups de chaînes de moto. Inutile contre de tels adversaires, il trouvait dans cette pratique l'inspiration qui lui procurait l'amour de son métier. Il avait, comme d'habitude, eu le dessus sur les cinq énergumènes mais, après les avoir décapités comme de nécessaire, il s'était bêtement planté en moto. Ennivré de sang, réjoui comme un môme de quatre ans qui aurait attrapé la queue du Mickey, il avait poursuivi l'ennivrement d'une manière presque aussi violente, en compagnie de son second, de deux autres compadres, et de Jack Daniels. Sa cruelle erreur fut d'écouter les mauvais conseils fournis par le fameux Jack, qui l'incita à prendre son Harley à quatre grammes et demie du matin. Pris de vomissements à cent vingt kilomètres par heure, il perdit le contrôle de son engin près de la Loire, qu'il alla goûter au terme d'un vol au dessus de la rambarde de sécurité. Lui qui ne buvait que très rarement de l'eau, autant de litres d'un coup ne pouvaient que lui être fatal. Sa dernière pensée avant la noyade fut pour la fourche tordue de sa bécane. Son second, se faisant appeler Bélial, fidèle de la première heure, lui succéda, et conduisit les hommes jusqu'à aujourd'hui. Eu égard à son âge avancé, la sagesse supplante (au moins un peu) la sauvagerie, et ses capacités physique amoindries lui dictent son penchant pour les armes à feu. La tradition instituée par l'ancien chef est toutefois respectée. Le moyen de subsistance du groupe est à l'image de ses membres, pas terriblement en finesse. D'ailleurs, ma première sortie depuis le début de ma formation en témoigne : en guise de test, je dois rapporter le contenu d'un coffre appartenant à un mafieux, vampire selon les sources de Bélial. Voilà pourquoi je fends la nuit dans un silence relatif, sur le toit glissant d'un immeuble Hausman parisien. En contrebas, le balcon par lequel je vais m'introduire, occupé par deux hommes de main fumeurs. Je me fais un décompte intérieur avant de fendre la nuit et de fondre sur mes deux premières victimes.

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30 août 2009

Episode 9

Stairway from Heaven



    Je prends un nouveau bain de lumière blanche, violente et crue. Cette fois, mes sens accommodent plutôt rapidement. Je me trouve dans une petite pièce carrée, nue, dont l'éclairage réfléchi par les murs ne laisse pas deviner son origine. Comme la dernière fois, une voix s'élève, mais plus flûtée, tandis que je ne peux toujours pas non plus en déceler la provenance. Elle m'intime de franchir la porte qui me fait face, dans ce qui ne me semble pas être une formulation verbale. Je me mets brutalement en mouvement quand je perçois une notion d'urgence. J'obtempère donc prestement, et reste suffoqué quelques secondes devant le spectacle qui s'offre à moi. La nature, luxuriante et superbe, impose sa verte symphonie à mon regard conquis par l'harmonie subtile mais absolue, que dégage l'agencement apparemment anarchique de l'implantation des divers végétaux. Cela ne peut que m'évoquer le jardin d'Eden, m'amenant à penser que le talent du paysagiste qui bosse ici surclasse incommensurablement celui du concepteur de mon jardinet de campagne, coquet mais terne, vaguement doux au regard mais bétonné, puant l'artifice à plein nez. Rien de tout ça devant moi. Rien que du naturel, exhalant un équilibre esthétique jouissif, corroboré par la complémentarité des fragrances qui me parviennent au gré du vent léger.

    Je suis irrépressiblement attiré par un monument sylvestre, un hêtre multicentenaire et épanoui. J'ai soudain l'impression qu'il s'adresse à moi, avec une voix féminine. Wow. Je commence à me faire peur. Mère Feuillage me cause, à présent. Je suis rapidement détrompé quand surgit de derrière le tronc ce qui s'avère être la véritable source de la voix cristalline. Mon ironie aurait voulu que ce soit Pocahontas qui s'avance vers moi, mais sa pigmentation est bien trop claire pour être celle d'une digne représentante de la confédération de tribus Powhatans. Sa pilosité est presque blanche, et elle me transperce de son regard d'un brun si clair qu'il projette des reflets dorés. Son visage et son corps nu sont exempts de toute flétrissure dûe à l'âge. Etrangement, ses mouvements, son expression et ses yeux démentent incontestablement son apparente vingtaine débutante. Troublante, la créature. Si elle est vierge, j'attends avec impatience l'arrivée de ses soixante-neuf collègues...
“    - Ne te raconte pas d'histoires, petite âme. Tu n'es ici que pour un bref instant. Remballe immédiatement ta libido, je ne suis pas là pour ça.
-    Ah, pourtant, vous portez si bien la nudité...
-    Peut-être mieux que toi, j'en conviens !
Ah oui, tiens, je suis nu moi aussi. Et en passe de devenir obscène si je ne cesse pas de contempler la verte Artémis qui me fait face. Ses paroles me font immédiatement retomber sur Terre. Littéralement.
-    Pas de temps à perdre, tu ne vas pas tarder à reprendre vie. Je tiens à mettre ce temps à profit pour te transmettre quelques informations sur ton état terrestre.
-    Ca tombe bien qu'on en parle, il y a un ou deux détails que...
-    Vas-tu te taire ! Première chose, fais confiance à la gent qui t'a recueilli, elle nous sert, même si elle ne le fait pas toujours habilement.
-    Nous, c'est qui ? Placé-je en constatant que mon Artémis m'évoque de plus en plus une Walkyrie.
-    Je t'ai dit de te taire. Regarde autour de toi. Ca ne t'évoque rien ?
-    Justement. Ca évoque un peu trop pour être honnête.
-    Tu es futé. Tu n'as pas eu la sagesse de faire les bon choix de ton vivant, mais ce n'est pas par défaut d'esprit. Peu importe. Pour parler ton ancien langage, on est en affaires, tous les deux. Considère que tu me dois l'existence après ton funeste rodéo. Garde bien présent à l'esprit que ce privilège en est un, et qu'il est révocable.
-    Le Parrain est une nana à poil...
-    Toi, l'homme de main, tu l'es aussi au figuré. Cesse de m'interrompre. Tu as nécessairement entendu parler des vampires.
-    Forcément...
-    Eh bien, comme vous dites en bas, il n'y a pas de fumée sans feu. C'est une invention du camp d'en face pour court-circuiter le trajet habituel des âmes. Elles restent coincées en bas et ne nous reviennent pas. Ces êtres existent depuis très longtemps, mais commencent à devenir envahissants. Nous sommes déjà intervenus par le passé, mais cela revêt à présent une urgence particulière. Ils vivent de moins en moins en parias, et ont infiltré toutes les couches supérieures de la société. Tu as toi-même travaillé pour le compte de quelques-uns d'entre eux pendant ta vie. Tu vas les combattre, à présent. Tu as déjà fait des rêves bizarre, non ?
Elle ne me laisse pas le temps de répondre.
-    C'est par ce biais que je te contacterai. Je le ferai d'ailleurs prochainement. Je n'ai pas eu le temps de te dire tout ce que je voulais, et tu es déjà rappelé...

    En effet, le décor commence à tanguer, et ma superbe interlocutrice disparaît. Je ne suis plus qu'une conscience dans le néant. Soudain, un bouquet final de 14-juillet de douleur m'assaille. Je viens de renouer avec mon corps terrestre. Douleurs au crâne, à l'épaule, à la cuisse, au bras, plus une dans la poitrine. Je sens deux côtes se ressouder, m'arrachant un glapissement. Je ne perçois rien d'extérieur à mon corps, tant celui-ci m'assaille de signaux. Mon squelette se reconstitue, les muscles reprennent leur place et leur intégrité, des sections de tendons se réunissent. Les élancements sont insupportable, mais je ne bouge pas, ayant constaté que le mouvement les aiguise. Quand la marée de souffrance reflue, j'ouvre les yeux sur mon corps nu couvert de sang séché brunâtre. Un des ZZ-top me tourne le dos, occuppé qu'il est à brailler à travers le chambranle d'une porte ouverte que ça y est, je viens de ressusciter. En voilà un qui en sait plus que je n'en savais moi-même avant cet entretien qui me laisse le sentiment qu'il a eu lieu des siècles en arrière. Je crois même que je serais incapable de décrire formellement ce qui y est arrivé. Je m'assied lentement, paré aux assauts de la douleur, qui m'épargne. J'ai une gueule de bois d'enfer, comme si je m'étais enquillé un fût de whisky. Vu d'où je viens, c'est la moindre des choses. Un bruit de cavalcade m'informe que mon intimité risque d'être troublée incessemment. Ce n'est d'ailleurs pas une simple cavalcade, au vu du vacarme métallique produit, je m'attends à voir débarquer tous les démons de l'enfer dans la petite cellule où j'émerge. Quand ils se massent devant la porte, je m'aperçois à leur tenue métal et cuir, à la massive corpulence de la plupart et à la barbe cradingue et aux tatouages qu'ils arborent tous qu'ils pourraient bien être affiliés à quelque engeance démoniaque. Leur sourire unanimement béat m'indique que s'ils viennent du fond des enfers, ils me prennent pour leur prophète. Là dessus, ils s'écartent pour laisser passer le plus corpulent d'entre eux, si l'on se réfère au seul tour de taille. Un regard bleu perce le masque de poils gris qui recouvre sa figure. Ce vieil homme est poilu au point de ne plus laisser discerner la frontière entre barbe et sourcils. Il a beau me regarder, j'ai du mal à décrocher mon attention de l'extraordinaire touffe qui orne les pavillons de ses oreilles. Dès le début d'un laïus de bienvenue terriblement ampoulé, un voile rouge que je connais déjà s'empare de mon attention et semble vouloir s'emparer du reste. Lombric luttant contre un glissement de terrain. Comme précédemment, c'est violent. Une nouvelle fois, le faciès de Candice m'apparaît, ensanglanté. La tornade de bestialité enserrant ce visage aux courbes familières et rassurantes se fige graduellement. Elle m'aspire. Elle me souffle sa détresse. La rouge et sombre spirale ponctue ces SOS d'atroce déchirements. Elle finit par ne plus ponctuer, mais emporter le contact qui s'était créé. A force de tenter de m'en détacher, j'impose à la dissonante distorsion la distance qui m'en libère. Encore à vif, j'ai la frousse de ma vie en émergeant. Deux billes rouges à l'iris bleu me fixent à travers un monceau de poils désordonnés. Je ferme autant que possible toutes les vannes sensitives autres que visuelles, auditives et olfactives. Je décide d'ailleurs de refermer cette dernière lorsque me parvient le remugle qui nimbe la silhouette du vieux penché sur moi. Je m'en félicite quand son haleine m'effleure alors qu'il prend la parole :
-    Ca va ?
-    Mouais, ça va, grogné-je. Faut qu'on cause, toi et moi.

19 août 2009

Episode 8

contact


                  Le moteur redescend en régime, le temps que Bruyères passe le quatrième rapport. Le feulement du moteur de la puissante berline se fait de nouveau entendre, dans son implacable montée sur la gamme.
- On aurait quand-même pu éviter de prendre ma Mercedes, maugrée l'avocat.
- Non seulement ça fait plus vrai comme ça, mais en plus on a le cul dans du cuir. Il me fallait bien ça pour me remettre du mitard... Dis-moi, ça doit rapporter de s'occupper de mes petits problèmes judiciaires, elle est plutôt classe, ta merco !
Il ne prend pas la peine de me répondre, les yeux rivés sur le rétroviseur.
- On est suivis, finit-il par dire.
- Je me suis évadé en te prenant en otage, observé-je. Les flics veulent peut-être savoir où je veux en venir.
- Merci de ces précisions, mais je ne roulerais pas en berline de luxe si j'étais trop idiot pour le savoir. On est suivis par des gens qui ne sont pas des flics.
Je me retourne.
- Le van noir ?
- Non, l'Espace vert.
Je ris de ma propre bêtise. Le van noir, c'est tellement cliché... En tous cas, si le monospace n'est pas noir, il a quand même les vitres teintées. Je suis tiré de ma contemplation routière par un énorme coup de freins. Un vieux C25 rallongé et à moitié rouillé est planté en travers de la route. J'ai à peine le temps de penser que ce genre de plan me rappelle quelque-chose. L'Espace vert est grimpé sur le trottoir et stoppe à ma hauteur. La porte coulissante s'ouvre sur des hommes barbus munis de Rayban. Je pense immédiatement aux ZZ Top. A la différence près que ces derniers se trimballent plus souvent avec des guitares qu'avec des mitraillettes. Je lève mon PPK. Le van noir déboule sur notre gauche. Les vitres descendent sur une autre bande de manieurs de crache-plomb automatique, glabres ceux-ci. Curieusement, le premier coup de feu ne vient pas des véhicules nous entourant. L'avocat bien propre a sorti un énorme Uzi et envoie des rafales en direction du Renault. Les occupants du Chrysler lui emboîtent le pas. Les autres répliquent. Je ne perçois plus les crépitements des salves que de manière auditive, recroquevillé que je suis, planqué à l'abri (précaire il est vrai) de la portière passager. Me provoquant une douloureuse réminiscence, le pare-brise vole en éclat. Le fracas des armes s'intensifie encore, j'ai l'impression que les occupants du C15 sont entrés dans la danse. Mes soupçons sont trouvent confirmés par la neige de confettis de textile synthétique provenant du plafond de la luxueuse berline, dont la cote argus descend à vue d'oeil sous la tempête de projectiles. Le déchaînement de violence s'interrompt aussi rapidement qu'il a débuté. Je suis trempé de sang. Je n'ai pas la moindre douleur. Ce sang n'est pas le mien. Je relève enfin la tête. L'excellente qualité de la laque de mon avocat n'a pas empêché les rafales de balles de le décoiffer quelque peu. La rupture de contrat est brutale, mais j'en prends acte. Je risque un coup d'oeil sur ma droite. Deux types semblent être sur le carreau dans l'Espace. Les trois qui restent me hèlent avec empressement.
- Eh, mec, grimpe ! me crie un des ZZ Top armé.
- Ouais, magne ton cul, y peut en v'nir d'aut' ! complète un deuxième.
Interdit, je demeure immobile. Je ne bouge pas davantage quand j'entends au loin les deux tons caractéristiques des sirènes de police. Les voitures déboulent au bout de l'avenue, et le son n'est plus assourdi par aucun obstacle. Le bleu des gyrophares et ce chant strident m'hypnotisent. Je suis alors tiré de ma transe par l'exclamation du chauffeur du monospace :
- Putain de merde ! V'là les condés !
Je me décide enfin. La portière est complètement faussée, mais ne me résiste qu'une demi-seconde. Le raclement du métal arrache une gerbe d'étincelles au macadam, et la pièce d'acier s'affale au sol. J'en piétine la ronce de noyer en jaillissant de l'habitacle. Les flics sont juste derrière l'amas de carrosseries percées. Le concert de coups de feu reprend. Il n'a pas la même intensité que le précédent, les fonctionnaires n'ont pas pris le temps de se munir de matériel plus lourd que leurs 9mm désormais réglementaires. Pour autant, ils tirent assez juste. Ils me touchent au bras et à l'épaule. Mon système nerveux me le signale impitoyablement. Glapissement de bête blessée de ma part. Et ce n'est pas fini. Les ZZ Top sont descendus du van, en se couvrant par de courtes rafales de MP5. Un seul flic ne se roule pas aux abris. Un vieux, réfractaire au 9mm. Il pointe le canon de son Manhurin droit sur moi. J'aperçois les veinules qui zèbrent le blanc de son oeil alors qu'il presse la détente. Feu et fumée se ruent hors du revolver. Je bascule en arrière. Le bleu du ciel. Puis, plus rien. Le temps se fige autour de ma stupéfaction. Je n'ai même pas vu arriver le projectile.

15 juin 2009

Episode 7

Prison Break


                 Les traits de lumière verte se succèdent au dessus de ma tête tandis que nous avançons. Je me fais la remarque que ce type d'éclairage a la particularité d'être cru tout en prodiguant une impression de lumière blafarde à la morne coursive. Quelques jappements issus des cellules alentours me signifient que mon déplacement est remarqué, et que je suis plutôt apprécié de mes codétenus. Toujours escorté par ma douzaine de gardiens enCRSisés, je descends les escaliers pour me retrouver au milieu de la "rue" bordée de cellules dont les occupants saluent mon passage avec force hurlements, sifflements et gestes plus ou moins obscènes à l'intention de mes accompagnateurs. Au bout, un sas. On m'engage dans un couloir plus étroit. Les hommes ne peuvent plus m'encadrer comme dans la rue. Serait-ce ma chance ? Je n'ai pas le temps d'aboutir cette réflexion, nous nous arrêtons devant une porte, que le maton en chef déverrouille. Dans la pièce éclairée à la lumière du jour par une sorte de ventail placé très haut et lardé de métal entrecroisé, ne se trouvent que deux chaises et une table scellée au sol. Je me vois menotté à l'un des pieds de le table, tandis que s'ouvre le porte me faisant face. Entre un homme, le cinquantaine encore fraîche, Armani, Rolex, coûteux escarpins italiens, et attaché-case en cuir noir et dorures. La coiffure est au cordeau, il dégage la riche austérité qui caractérise les spécialistes du droit des affaires. Il me semble d'ailleurs l'avoir déjà croisé dans mon ancienne vie. Pourtant, si j'ai bien compris, on va me mettre le carnage de chez moi sur le dos. Sans un mot, me dardant de son regard bleu à travers ses fines lunettes sans monture, il s'assied et m'invite d'un signe de la main à l'imiter. Je prends place. Il se racle la gorge et prend enfin la parole :
  -  Bonjour. Je me présente : Louis-Michel Bruyères. Je tiens en préambule à vous signifier que nous sommes tous très heureux de vous retrouver vivant.
  -  On se connaît ?
  -  Nous nous sommes croisés deux ou trois fois quand vous travailliez pour OmniTech. J'étais alors avocat de la maison mère.
  -  Et aujourd'hui ?
  -  Disons que j'ai rejoint le cabinet d'un ami et que je m'occupe exclusivement de votre cas, épineux s'il en est, et ce à plus d'un titre...
  -  Parce que je devrais être mort ? lançé-je brusquement.
  -  C'est bien le moindre des mystère. Il s'agit surtout du fait qu'après votre disparition de l'hôpital, la nuit a été émaillée de faits pour le moins troublants, bruits de coups de feu, explosions, pour finir chez vous où l'on vous a retrouvé, une arme fumante à la main, non loin du cadavre, fumant lui aussi, d'un homme dont la tête ne dira plus rien à personne et dont les empreintes ne sont répertoriées nulle part.
  -  Ah, j'ai donc été agressé par le Salopard Inconnu. Mais vous, que venez-vous faire là ? Je crois bien avoir démissionné d'OmniTech.
  -  En effet. Mais le fait que vous avez toujours travaillé dans le domaine de l'armement pourrait pousser un policier étroit d'esprit ou un juge d'instruction en mal de couverture médiatique à faire un lien entre la fabrication d'armes à feu et leur utilisation, vous me suivez ?
  -  Je crois, oui.
  -  Outre votre défense, je suis aussi chargé de veiller à la confidentialité de certaines informations auxquelles vous avez eu accès, ainsi qu'à certaines activités auxquelles vous vous êtes livrées. Que leur avez-vous dit lors de la garde à vue ?
  -  Juste ce qui se rapportait à ma maison en ruine et au macchabée que j'ai fabriqué, par légitime défense. Il sera vite établi que ses empreintes se trouvaient aussi sur le...
  -  Là n'est pas la question ! m'interromp-t-il
  -  Ah ? Il me semble bien, moi, pourtant ! rugis-je. Vous en savez plus long que moi ?!
  -  Cela se pourrait bien. Dans tous les cas, ce n'est pas ici que nous en discuterons. Vous avez conservé le petit présent que nous vous avons fait parvenir dans votre cellule ?
Je hoche la tête. L'évocation du petit automatique me rappelle son contact contre mon aine, qui a réchauffé le métal de l'engin.
  -  Qu'attendez-vous pour l'utiliser, alors ? me lance-t-il.

                            Je sors l'arme de mon caleçon et l'examine à la lumière. Walter PPK. Ils ne se sont pas moqués de moi. Je braque alors mon regard sur le pied de table auquel est attaché le deuxième bracelet de mes menottes. Un bon coup de pied bien ample et la soudure qui assujettissait le plateau au montant cède. Libre de mes mouvements, je me rue sur l'avocat et lui colle le flingue sur la tempe en beuglant. La réaction ne se fait pas attendre. La salle est immédiatement investie par la cohorte de gardiens qui attendaient au-dehors. Je m'amuse de l'ébahissement du gardien-chef, qui a les yeux braqués sur le pied de table déformé affichant un angle de trente-sept degrés avec le sol, au lieu des fiers quatre-vingt-dix habituels. Il n'a toujours pas compris que je suis super-fort, celui-là ? Hésitants, ils se placent maladroitement en arc de cercle autour de moi et de ma présumée victime.
- Bougez pas, bande de nases ! crié-je. Un mouvement qui me plaît pas et j'éclate le tête de M. Technocrate ici-présent !
- OK, ok, t'énerve pas, me lance le moins sidéré des gus.
- Parfait. Toi, le gros, passe le trousseau de clés à M. Quatre-épingles.
Les sésames fendent l'air, scintillent brièvement en traversant le rai de lumière avant que la main de l'avocat se referme sur eux.
- Maintenant, tirez-vous.
Les secondes suivantes sont comme suspendues, pas même un souffle ne vient troubler l'immobilité du tableau. Tous sautent au plafond quand la détonation retentit. Un éclat de mur rebondit contre la ranger du garde le plus à gauche face à moi. Les regards des gardes se détournent du gros impact et convergent vers la gueule de mon canon fumant, que je recolle contre la joue du juriste. Il ne parvient pas à réprimer un petit cri sous la morsure du métal brûlant. En un éclair, tous en face réagissent. Comme un seul homme, ils se précipitent hors de la pièce. Nous sortons par l'autre porte.


8 décembre 2008

Episode 6

Super sans plomb

         

 Je suis de nouveau baigné dans l’intense lumière qui précédait la débauche d’images dont je viens d’être bombardé. Elle s’efface presque aussitôt. Je renoue avec mon corps meurtri. La dureté du sol. La morsure du froid. L’obscurité. Je m’étire. Cela me coûte un effort, sans parler de la douleur. Mon pied touche quelque chose qui n’est pas du béton. Trop souple, pas assez froid. Je l’attrape. Le mètre qui me sépare de lui me semble être un kilomètre. Dans l’obscurité totale, je n’ai que mes doigts pour identifier l’objet. On dirait un tout petit coussin en plastique. Ils ont de l’humour, les mâtons. Avec moins de trente centimètres d’un côté et quelque-chose comme vingt de l’autre, il suffira à peine à caler ma tête. S’il en supporte le poids. Au demeurant, il est trop souple pour être correctement gonflé. En le pressant, j’en viens à penser qu’il n’est pas gonflé. Il contient un liquide. Je trouve un embout sur un des petits côtés. A tâtons, je le travaille et parviens rapidement à le faire sauter. Je renifle. Une liqueur. Ou autre chose, mais j’ai une espèce d’envie de plonger dedans qui me prend aux tripes. Un fumet d’ambroisie, ou de n’importe-quoi de divin qui relègue le château Petrus 1982 au rang d’infime piquette insignifiante. Je ne renifle plus, je le respire durant de longues minutes. J’ai l’impression d’être enivré rien qu’en le sentant. Un bouquet multicolore et infini, qui préfigure en bouche la plus plaisante explosion de bonheur sensitif. C’en est même trop beau. Brutalement, j’éloigne le liquide de mon visage. Je n’ai pas le bras assez long. L’implacable effluve parvient encore jusqu’à mon narines. J’ai tellement envie de m’en avaler une lampée pour voir si le parfum est aussi délectable en bouche qu’au nez que je me dis que ça ne peut être qu’un piège. Pourtant, à cet instant précis, je n’ai envie que d’une chose : goûter à ce sale truc qui m’excite les sens. La raison exclut catégoriquement d’ingérer un liquide en aveugle. Mais nom de Dieu, il y a des jours ou « catégoriquement » semble d’une rigidité toute relative. Je me vois, dans un instant de dérision, à la torture dans un mitard obscur avec le bras tendu depuis cinq minutes. Pas une seconde de plus ne s’écoule, contrairement à l’élixir qui prend la voie de ma gorge. A ma langue, c’est salé. Avant de l’avaler, je laisse travailler mon nez. Goût métallique. Très décevant. Une sorte de tannin vient, mais si c’est du vin, il est ouvert depuis trop longtemps. Ca n’a pas l’épaisseur de goût que pourrait avoir le cyanure. Presque par réflexe, au milieu de mes tergiversations mentales, je déglutis. Un vent de panique souffle sur mon visage que je devine mi-hagard, mi-crispé. Je me mets sèchement à genoux, redoutant le moindre signal de mon corps. Les deux doigts entre les dents, j’interromps soudainement mon mouvement. Des sensations bizarres commencent bien à sillonner mon corps, mais elles n’ont rien de désagréable. Au contraire. Si le plaisir gustatif n’était pas au rendez-vous, les effets de la potion semblent de genre goscinnien. J’ai l’impression de la sentir directement se diffuser dans mes veines, échauffante et tonifiante. Avec une vigueur nouvelle, j’entreprends sans vergogne de me basculer cul-sec le reste du breuvage. Puis, anxieux, j’attends le résultat. Ce dernier ne tarde pas. Mes douleurs s’estompent avec une rapidité surnaturelle, tandis que je me sens ragaillardi puissance dix exposant un gros, gros nombre. Ca n’avait pourtant pas le parfum d’un méga-café coupé à la coke avec trente guronzan, cinquante actimol et tout un cocktail d’antalgiques divers. Je viens de boire de l’énergie pure. Debout dans ma cellule, droit comme un I, je n’ai qu’une aspiration : que les trous du cul de mâtons reviennent me voir, juste pour rire. Je cours tambouriner contre ce que je pense être la porte, dans la mesure où c’est le seul matériau métallique que je trouve sur les quatre murs. Le bruit résonne tandis que je tourne dans ma cellule comme un lion en cage, ou plutôt comme un catcheur avant un combat de gala. Un autre bruit de métal, plus mat celui-ci, se fait entendre quand je heurte un objet du pied droit. A quatre pattes, je tâte frénétiquement le sol pendant une minute trente avant de mettre la main dessus. J’identifie rapidement l’objet. Quelqu’un me veut du bien. C’est un flingue. Automatique et compact. Avec ça, et un peu de pot, je ne serai peut-être même pas obligé de foncer dans le tas pour reprendre ma liberté. Parce-que j’ai envie de sortir. Et pas qu’un peu. Du coup, je me rassérène un brin. Avec la surprise que j’ai pour eux, mieux vaut les attendre. Je glisse l’engin à l’élastique de mon caleçon, sous la combinaison de prisonnier qu’ils m’ont fait endosser. A genoux au centre de ma cellule, je les attends. Ma patience n’a pas à s’éroder trop longtemps, un rai de lumière vient m’éclairer les cuisses. Un homme me parle par la fente à mi-hauteur de la porte :

« - Bouge pas, connard. Ton avocat est là. Je sais pas qui t’es, mais ça va vite pour toi, même si que t’es au mitard. Je vais ouvrir. Tu te tiens à carreau, je suis pas tout seul, et pis si tu bronches, t’as pas d’entretien, on en a le droit. C’est pigé ? »

Je ne réponds pas.

« - J’te cause, connard ! C’est pigé ?!

- Ouais, c’est bon, m’entends-je répondre.

- OK, on ouvre. Tes mains en évidence dans la lumière. »

J’obtempère. La porte s’ouvre après un son de ferraille creuse. En effet, il n’est pas tout seul. Malgré mon éblouissement, je distingue une douzaine de silhouettes déguisées en CRS. Mon interlocuteur avance, et me passe les menottes. Il tire dessus un coup sec pour m’inciter à sortir. Je le suis docilement. Sur le seuil, je me retourne vers la cellule. J’aperçois ma pochette surprise en plastique. Elle porte une annotation au marqueur. AB+. Ca explique le goût d’oxyde de fer. Ca explique moins les vertus tonifiantes que ça peut avoir sur ma personne. Quelle qu’en soit la raison, j’ai la frite, et ça ne sent pas bon.

 

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2 décembre 2008

Episode 5

De papier mâché en 9mm

 

Je me revois alors en vue objective, en une projection mentale capable de synthétiser une vie en quelques secondes. Elle commence dans un tout petit appartement, où s’ébat ma sœur de trois ans mon aînée. J’entends mes parents au-dessus de moi me dorloter et m’appeler par mon prénom. Je m’appelais Stéphane. La tapisserie est orange et brun. L’école. Taciturne et pas bien gros, je dois lutter dès la primaire pour qu’on me fiche la paix. C’est plus tard au collège que je commence à m’intégrer quand ma poussée de croissance et de maturité m’amène rapidement à dominer mes congénères en taille et en carrure. Fort de cette suprématie physique nouvelle, je tâche de m’imposer dans la cour, au prix de quelques affrontements avec les autres prétendants au titre de chef d’influence du bahut. Cela draine vers nous nombre de nymphettes avec lesquelles nous apprenons la langueur, et l’érotisme en fin de cursus. Question érotisme, c’est un peu expérimenté mais mal dégrossi que je débarque au lycée. L’établissement est passablement délabré, mais je m’y sens bien. Il y a un étang et des canards devant ce dernier. Profs, nanas, beuveries et peu de boulot. Un ou deux accrochages avec l’autorité. Au début. Je comprends vite que ma carrure athlétique ne va pas suffire pour la suite. Mes congénères achevant tous plus ou moins leur poussée de croissance, il va me falloir cultiver l’intellect. Peu économe sur les moyens, je m’y jette à corps perdu, jusqu’à me constituer un dossier en béton armé qui m’ouvre les concours aux plus prestigieuses écoles une fois mon bac décroché avec mention et honneurs. Boursier, je jette mon dévolu sur une prépa, puis sur HEC. Cela s’avère rapidement un excellent choix. Issu de la méritocratie, je dois me battre pour m’intégrer dans la cohorte de fils et filles de capitaines d’industrie, avocats renommés etc. Arrivé par le bas, j’étudie avec acharnement. Je tâche également de drainer dans mon lit les spécimens féminins qui m’assureront un prestige certain. C’est à cette époque que je rencontre Candice, superbe plante aux yeux verts, qui résiste obstinément à toutes mes tentatives de séduction. Si je ne sors pas major de promo, je suis suffisamment bien diplômé pour intégrer le poste de directeur général d’une petite filiale d’un grand groupe métallurgique. J’ai bien sûr gardé le contact avec nombre de mes anciens camarades, du moins avec ceux qui se sont le mieux placés. DG avisé, je fais rapidement prospérer ma boîte, jusqu’à décrocher de juteux contrats avec Heckler&Koch, sommité de la fabrication d’armes autrichienne. C’est à ce moment-là que ça se complique sévèrement, je commence à empiéter sérieusement sur les plates-bandes de certaines personnes plus installées que moi. Combatif, je m’obstine et remporte quelques victoires commerciales qui gonflent les comptes de l’entreprise, au point d’être en position d’avaler un pan significatif d’un groupe concurrent. Récemment admis au conseil d’administration au vu du poids que j’ai pris, je suis alors brutalement désavoué alors que mon plan d’OPA est relativement sûr. C’est à cette période que je revois Candice. Rattachée au ministère de la Défense, elle devient mon interlocutrice concernant la destination des produits qui sortent des usines que je dirige. J’en tombe éperdument amoureux. Jusqu’ici, mes relations s’étaient cantonnées à me dégotter la plus belle pépée possible pour pouvoir l’exposer ensuite dans les fastueuses soirées auxquelles je commençais à avoir accès. J’avais un tableau de chasse assez impressionnant, mais mon intérêt pour mes conquêtes se bornait à apprécier l’admiration qu’elles suscitaient et le fait qu’elles réchauffaient mon lit d’une manière moins impersonnelle et plus moderne qu’une bassinoire. Mais, pour la première fois de ma vie, je conçois de l’amour. Le fait de vouloir cette femme-là et pas une autre, en ne se basant pas que sur des critères plastiques ou politiques. Belle, racée, intelligente, fine et cultivée, elle m’ouvre à d’autres cercles que celui des requins que je fréquente pour des raisons d’ascension sociale. Elle me fait tourner en bourrique pendant quelques semaines avant de se donner à moi. Pendant ce temps, je me désintéresse un peu de mon fief industriel et de l’empire auquel il est rattaché. Il commence même à me peser quand nous nous mettons en ménage, un an plus tard. L’éclat de son regard quand je la porte à travers le seuil de la ferme retapée secrètement par des ouvriers depuis trois mois. Barbecue, jardin paysagé, portion de bois privé, tout y est. J’ai envie de me poser, et recontacte la touche que j’ai eue il y a quelques mois au ministère de la Défense. Je sais que si je laisse maintenant mon fauteuil au conseil d’administration, cela m’assurera une confortable indemnité de départ. Je passe donc du privé au public. Je suis en train de faire mes cartons quand la pire nouvelle de ma vie tombe. Mes parents et ma sœur ont succombé à une intoxication au monoxyde de carbone dans le chalet que je leur avais offert en Suisse. Le choc est rude, et c’est un peu dans le cirage que je débarque au ministère. Le boulot me remet en selle. Je bosse pour le Délégué Général pour l’Armement. Mes connaissances de l’industrie dans cette branche me servent justement beaucoup. Je suis même amené à recontacter d’anciens adversaires. Mon réseau se fortifie et je me prends à rêver d’intégrer le cabinet du ministre, que je connais un peu, et dont le plus proche collaborateur est un ancien d’HEC de la même promo que moi. Je suis le plus jeune à cet échelon de la hiérarchie du ministère, et j’assure comme une bête au boulot, qui consiste à dégoter des lots d’armes légères qui sont ensuite achetées et assignées par mon supérieur. Beaucoup de papiers à traiter. Mais de belles perspectives, alors je m’accroche. Et puis, quand on a chez soi une collègue du ministère, chargée du contrôle, il est aisé d’aller plus vite en jouant un peu avec les procédures. Je deviens du coup d’une efficacité impitoyable. Puis, un beau soir, avec encore plein de perspectives et de projets dans la tête, je me la suis explosée contre un semi comme un con en faisant le chaud. « Et depuis, c’est le bordel », ajouté-je mentalement après que la dernière image se soit éteinte.

24 novembre 2008

Episode 4

Des barreaux et du temps

        

 

Images de violence et impressions bizarre. Je suis plus que mal à l’aise quand j’ouvre les yeux. J’ai la sensation d’émerger d’un cauchemar, mais je suis persuadé que je ne dormais pas. Par ailleurs, j’étais emporté dans un tourbillon de ressentis, pas une seule image claire ne s’est imprimée dans mon cerveau. Cela fait remonter à la surface la fois où, à six ans, j’ai crevé le plafond des quarante et un degrés de fièvre. C’est la seule expérience comparable à celle que je subis aujourd’hui. La réalité ne paraîtrait d’ailleurs pas plus vivable que ces horribles songes. Je suis étendu sur une paillasse dans une cellule de neuf mètre carrés. La paillasse est au sol, deux autres détenus squattent les paillasses suspendues. Je peine à me persuader que je suis en France, au vu de mes conditions de détention. Après tout, je m’en fous complètement. Ici ou ailleurs, après tout ce qui vient de m’arriver, j’opte pour le lâcher prise plutôt que pour toute autre attitude. Je m’assieds sur ma couverture. Je n’arriverai pas à dormir. Et ce n’est pas la lumière jaunasse filtrée par la crasse amoncelée sur la vitre derrière les barreaux qui va m’aider à y parvenir. Je suis soudain entraîné dans une vision un peu plus précise que les précédentes. Le visage de Candice, pâle et ensanglanté. Le maelstrom de sensations me reprend aux tripes, plus intense que jamais. Sauvagerie et férocité y prédominent, m’arrachant un grondement guttural. Les protestations véhémentes de mes compagnons de cellule me parviennent à peine à travers le brouillard rouge et bestial qui voile mes perceptions. Tandis que le voile s’intensifie, j’ai l’impression que mon sang entre en ébullition. Une série de flashes me montrant Candice couverte de sang s’impose à moi en semblant me brûler la rétine. Bribes de cris déchirants et autres perceptions. Je m’en extirpe brusquement quand je constate que je suis plaqué au sol par deux gardiens. Une impulsion violente de ma part. L’impact mat de la tête du premier gardien contre le mur en béton me laisse certain qu’il se relèvera moins vite que son collègue qui s’affale sur la couchette inférieure. Je bondis sur le troisième homme qui se trouvait en retrait. La manchette est bien ajustée, il ne comprend rien à ce qui lui arrive quand je l’envoie bouler vers le fond de la cellule, non sans avoir arraché le mousqueton garni de clefs du passant de son pantalon. Mes deux compagnons de cellule restent figés, je les sens dans le dilemme de m’assister ou de rester bien tranquille. Le risque ou la prudence ? Le chemin le plus court et le plus dangereux ou le plus long mais le moins incertain ? Je ne me pose pas de telles questions. Je déverrouille la porte et en franchis le seuil. Je me trouve sur la coursive supérieure d’une longue structure grise, béton, acier. La sortie. Je cours. Gardien. Matraque. Je chancelle sous la violence du coup porté à ma tête. Je trouve au fond du regard de mon agresseur la plus insigne des stupéfactions quand je le lève du sol. Je n’y lis la terreur qu’une fraction de seconde avant que ne me serve de son corps comme projectile contre la cohorte de gardiens casqués qui se ruent hors de l’escalier dans ma direction. Je m’élance dans leur direction, espérant avoir un peu dégagé la voie avec ma boule de bowling vivante. Je tente un saut désespéré au dessus du tout ce petit monde. Trop court. J’atterris dans la mêlée noire. Des mains m’agrippent de toutes parts. Je tâche de les dégager en m’ébrouant. Je n’y parviens pas. On dirait que je faiblis. Merde, pas maintenant ! A force de moulinets de mes deux bras, je parviens à arracher deux mètres. Une grêle de coups me cloue cependant au sol. Il semble que les règles de sécurité reviennent aux hommes au fur et à mesure que ma résistance se fait de moins en moins virulente. La méthode dans la bastonnade se fait plus précise. Je ne suis plus que douleur. Les coups cessent, on m’empoigne. On me traîne. J’essaie de résister. Je me fais l’effet d’un ver de terre qui se tortille. Ils me conduisent au mitard. Je me sens dans un état de faiblesse totale. Je crois que je ne parviens même plus à bouger quand ils me jettent dans l’obscurité de l’exigüe cellule. J’ai mal. Je suis faible. Tiens, je peux tout de même m’épuiser. Bon à savoir. Je vais peut-être du coup être capable de dormir, qui sait… Je ferme les yeux. Une sensation de chaleur me pousse à les rouvrir. Une intensité lumineuse sans équivalent dans mes souvenirs irradie des murs. Une forme sombre se découpe devant moi. Je mets du temps à accommoder. Il est encore très flou quand sa voix s’élève (ce que je crois être sa voix). Elle a une chaude tessiture de baryton et est chargée d’une émotion indéfinissable, que son phrasé froid et précis rend très irréelle. Mon cerveau me souffle que je la connais. Je n’en comprends pas les mots. L’impression de réminiscence se renforce à mesure que mon incompréhension des termes constitue de moins en moins un obstacle à ce que je saisisse l’essence du propos. On me demande ce que je retiens de ma vie passée. De l’intégralité de mon essence du plus lointain des passés. Je commence à avoir mal au crâne. Des interférences m’empêchent de distinguer le visage qui me fait face au moment précis où j’allais enfin être capable de supporter la lumière. La décharge d’images commence alors.

17 novembre 2008

Episode 3

Parabellum

 

 

La nuit est plus qu’avancée quand je parviens à la porte du fond du jardin. Une puanteur soufrée nimbe l’air ambiant. Redoutant le pire, je pousse le vieux panneau de bois vermoulu et pénètre dans ma propriété. Je me trouve alors face à un spectacle apocalyptique. Plusieurs des arbres de mon jardin paysagé ont été déracinés par des explosions. Mon barbecue jadis en dur est à présent en miettes. L’appentis et mon tracteur-tondeuse flambant neuf ont brûlé. Pas une pierre de chaque mur n’est exempte d’impact de balles. Tout à l’heure, sur la route, c’est à moi qu’ils en voulaient. Comme ils ne m’ont pas trouvé, ils se sont mis à ma recherche. Ils ont donc logiquement atterri chez moi. Candice ! Mon imagination déborde malgré mes efforts pour la contenir. Candice… J’ouvre la porte de derrière à la volée, et traverse prestement ma maison ravagée. Depuis les quatre ans que je suis propriétaire, j’ai transformé l’ancienne ferme et investi dans du mobilier design. Mes invités surprise me l’ont rectifié d’une manière très audacieuse, bien qu’un peu punk à mon goût. Impacts de balles obligent, mes casseroles sont des passoires, la table renversée a été littéralement déchirée (je crois reconnaître la signature du gros flingue tchèque), et, surtout, de monstrueuses taches de sang donnent une petite touche agressive à mon intérieur. Candice ! Ce n’est sûrement pas elle qui a défendu la maison avec autant d’acharnement, et surtout pas à la mitraillette. Courant dans la maison, je trouve chaque pièce saccagée. Arrivé dans la chambre, je dois me rendre à l’évidence. Candice n’est pas dans mes murs. Peut-être a-t-elle échappé au massacre. Désemparé, j’arpente la maison dévastée.

Soudain, un bruit provient du hall. Je m’y rue, et pousse violemment le battant de la porte. Il heurte de plein fouet la tête d’un homme qui part à la renverse, lâchant l’arme qu’il brandissait. Vif comme l’éclair, il se remet sur ses pieds et me saute au cou. En une manchette bien sentie sur son crâne rasé, je l’esquive. Il repart s’étaler plus loin. Tandis qu’il se relève en se massant l’occiput, je fonds sur l’arme. C’est un énorme revolver dont la patine luit d’un éclat noir. Je mets l’homme en joue, en hurlant des imprécations aussi désordonnées qu’inefficaces. Il se jette sur moi en me saisissant le poignet droit (qui tient l’arme) et me décoche un puissant crochet. Suivant l’élan que ma tête induit, je me retourne, me dégage de sa poigne d’un coup de poing dans son avant-bras, lui envoie mon coude droit dans l’orbite gauche et le remets en joue tandis qu’il retourne embrasser mon carrelage, le marquant d’une énième tache de sang. Je n’hésite pas cette fois-ci. A mon grand étonnement, mon bras absorbe facilement le recul du monstrueux flingue, qui crache une série d’immenses gerbes de feu dans un fracas assourdissant tandis que je lui vide le barillet dans le corps. Les yeux ronds, je jette un coup d’œil à l’engin de mort. Smith & Wesson modèle 29, chambré .44 magnum. Je crois me souvenir que c’est le calibre de l’inspecteur Harry. A ce tarif-là, le guignol que j’ai allumé ne doit pas en mener large. A travers la fumée qui se dissipe, je constate que c’est encore pire que ce que j’aurais pu imaginer. Ce n’est même plus un cadavre que j’ai en face, mais une charpie. Mon hall est définitivement irrécupérable. S’ils ont tous employé ce genre d’arme dans ma maison, je comprends mieux qu’elle soit à ce point repeinte. Pris d’un haut-le-coeur, je me retourne, laissant échapper le .44. N’ayant rien à vomir, traversé de violents spasmes, je déverse un peu de bile tandis que l’odeur de poudre m’est de plus en plus insupportable. Je me reprends rapidement en entendant deux ou trois véhicules pénétrer dans ma cour. Encore une bande de salopards motorisés armés jusqu’aux dents ? Maîtrisant ma répulsion, je fouille le tas de chair qui souille mon salon dans l’espoir de trouver d’autres munitions pour le gros revolver. Je trouve trois cylindres de chargement rapide dans son pantalon, en plus de celui qui a été projeté à deux mètres de la charogne sanglante. J’en ouvre un, et constate que le salopard que je viens de refroidir utilisait des balles à tête creuse. Décidément, c’est quoi ces mecs ?! Je n’ignore pas que ce type de munition n’est pas fait pour percer, mais pour ravager les tissus. Je frissonne en m’imaginant à la place du type qui s’est pris six de ces sales trucs. Je suis en train de déverser les balles dans leurs chambres quand la porte d’entrée s’ouvre à la volée derrière moi. Je rabats prestement le barillet et me retourne dans le même mouvement, pour me trouver face à quatre gendarmes horrifiés, tous calibres dehors. Ils se mettent tous quatre à me hurler de lâcher mon arme, l’attention détournée par le tas de viande qui traîne derrière moi. Déjà dégoûté du précédent massacre, j’obtempère. Ils se ruent alors sur moi, me plaquent au sol et me menottent dans une débauche de mouvements désordonnés. Au bord de la panique, ils se rassérènent un peu en me voyant ainsi neutralisé. L’un d’eux se retourne sur mon œuvre ensanglantée, et court aussitôt au dehors. Deux des trois pandores restés à l’intérieur me relèvent tandis que le dernier ramasse précautionneusement l’arme du crime. Encadré de près, je traverse la cour vers un des fourgons bleu marine stationnés près du porche. A ma droite, le tendron arrose mes massifs avec son petit-déjeuner. Le soleil commence à se lever quand le fourgon démarre. Je savoure l’explosion de couleurs changeantes que me montrent les nuages. Bizarrement, je commence enfin à être serein. Je ne comprends ni n’intègre toujours pas les événements des douze dernières heures, mais je me sens étonnamment calme, peut-être par contraste avec l’excitation frénétique et véhémente des deux militaires à l’avant de la camionnette. M’ignorant totalement, ils commentent fiévreusement ce qu’ils ont vu, probablement pour la première fois de leur carrière.

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10 novembre 2008

Episode 2

Cassé ?

 

 

            Brutalement, je reprends conscience. Mon réveil n’a pas sonné. Merde, je dois être à la bourre au boulot. Je cherche à me renseigner sur l’heure. Je ne peux pas. Il fait noir ici. Merde, qu’est-ce qui ce passe ? Je suis comme gainé de plastique. Etre aussi perplexe au réveil a quelque chose de comique. Merde, mais c’est quoi, ce bordel ?! Un instant, je panique. On est en train de m’enlever, on doit demander une rançon à ma femme. Avec le pognon que je me fais par an, ce ne serait pas étonnant. Mais comment m’ont-ils cueilli ? Je lutte pour me souvenir. Etait-ce à la sortie du boulot ? Ou selon la méthode de car-jacking, quand j’étais au volant de mon Alpha-Roméo flambant neuve ? Mon coupé sport. C’est ça. Enfin, le souvenir de ma dernière course me traverse violemment comme une décharge de cent mille volts. Je me suis explosé contre un semi. Je devrais être mort, logiquement. Pourtant, je n’ai aucune douleur, je peux bouger tous mes membres, j’ai même l’impression d’avoir une acuité sensorielle plus fine qu’à l’accoutumée. Peut-être que c’est ça, la mort, finalement. L’impression qu’on flotte dans un sac en plastique. Le bien être du corps comme jamais. Je commence à douter quand j’entends le bruit d’un diesel couvert part une sirène à deux tons. Une sirène et un moteur, ça ne fait pas très « purgatoire ». Dans le style, ça fait un peu plus « ce bon vieux bas monde ». Le bruit de sirène s’estompe, me laissant dans le noir et le silence. En tendant un peu l’oreille, je m’aperçois que ce n’est pas le silence. J’écoute, avec l’impression de balayer les alentours comme un faisceau. Bruit de chauve-souris à sept heures, lointain bruit de circulation à trois heures. A onze heures, des gémissements, des injonctions autoritaires, des bruits de roulement. On dirait un hôpital. A six heures, juste derrière moi, une radio annonce une urgence dans un crachotement grésillant. Je me saisis des parois du sac et le déchire en un mouvement violent. Je me trouve bien dans une ambulance. Je m’examine. Je suis en pleine forme. Je jette un œil à travers la vitre arrière du fourgon. Personne. L’ambulance est garée devant la morgue. Je commence à penser qu’il y a un gros, un très gros truc qui déconne. J’ouvre la porte arrière. Je jette à peine un regard aux alentours, persuadé que je suis que la voie est libre. Je ne rencontre en effet aucune difficulté à m’éclipser.  Dans la douce clarté que prodigue une Lune presque pleine, je serpente entre les pavillons du site hospitalier en évitant la route, trop éclairée à mon goût. J’atteins enfin le bois qui borde le dernier pavillon. Je m’y enfonce en courant comme un dératé. J’ai l’impression d’en ressortir presque aussitôt. Je ne suis pas essoufflé. Je m’arrête soudain. Je n’ai pas la moindre altération dans la respiration susceptible de trahir une course aussi effrénée. J’ajoute mentalement le fait que mes sens ont une acuité incroyable et tout simplement le fait que je devrais être à la morgue à l’heure qu’il est. Il y a vraiment un truc qui déconne quelque part.

Je fuis. Je fuis quoi, au juste ? Je fuis l’hôpital. Dans mon état, il ne fait pas bon traîner au milieu de scientifiques tant que je ne sais pas ce qu’il m’arrive. Mais, du coup, je fais quoi ? Subjugué par cette question à laquelle je ne parviens pas à trouver le moindre début de commencement d’une réponse, je reste debout sur le bord de la route. Le ronflement du moteur d’un véhicule en approche me tire de ma stupeur. Je plonge aussitôt dans le fossé. Un fourgon noir entre dans le virage tous pneus crissant. Il me dépasse, et pile dans d’impressionnantes volutes de caoutchouc brûlé. Quatre hommes harnachés à la dernière mode Mad Max se ruent hors du van, armés jusqu’aux dents. De fusils mitrailleurs en Desert Eagle dans un holster de poitrine, ils sont bardés de quincaillerie à se demander comment ils font pour marcher. Le plus costaud porte même une mitrailleuse, du genre des énormes engins tchèques qui se chargent par le dessus. Divers couteaux et autres armes plus ou moins blanches complètent cet attirail à faire pâlir le plus endurci des légionnaires. Ils se concertent d’un regard, et s’enfoncent dans le bois par lequel je suis arrivé, courant avec une indécente facilité au vu du poids de leur matériel. Je suis tellement saisi par le spectacle que je prends tardivement conscience que je n’ai pas esquissé le moindre mouvement après m’être tapi dans le fossé. Je m’en félicite, et laisse passer quelques instants avant d’oser me relever à demi. Je m’élance alors dans la direction diamétralement opposée à celle qu’ont prise les quatre Rambo. Détalant comme un lapin, j’entends quand même un bruit qui commence à m’être diablement familier : encore un crissement de pneus. Cette fois, il est suivi de très près par une monstrueuse déflagration. Des coups de feu s’enchaînent ensuite, leur bruit décroissant à mesure que j’avance. Je crois reconnaître les intonations assez sèches de la mitrailleuse, avant que le vent, les arbres, la distance et le dénivelé ne me coupent du fracas guerrier des activités nocturnes de je ne sais quels paramilitaires en goguette. Je devrais être mort et je n’ai jamais été aussi en forme, et, à présent, des mecs se font une petite guerre sur une départementale… Je dois rêver, ou quelqu’un m’a drogué. Pour l’heure, je décide que je m’en fous. Les branches basses me fouettent le visage, mais je sais que chaque arbre que je dépasse me rapproche de mon seul point de repère tangible : mon chez-moi avec ma petite femme qui m’y attend et qui, sans nouvelles de moi aussi tard dans la nuit, doit être morte d’inquiétude.

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5 novembre 2008

Episode 1

Code de la route


Le nez en l’air, je regarde fixement la longue traînée blanche qui déchire la pureté de l’azur par ailleurs immaculé. Le gros porteur auteur de la marque a disparu depuis longtemps, ne laissant que cet affront blanc au dense outremer. Reprenant mes esprits, je braque une énième fois mon regard vers ce satané feu qui persiste à imprimer des reflets rouges sur le pare-brise des véhicules qui me suivent. Plus pour chasser l’ennui que pour véritablement m’échauffer, je donne un coup d’accélérateur. Le doux son du moteur de mon Alpha Roméo m’incite à recommencer. L’harmonie sonore parfaite du moteur italien est rapidement troublé par le son aigu de ce qui doit être un moteur de japonaise. Un coup d’œil à droite. A la même hauteur que moi, une Honda Civic type R me nargue en poussant le régime à une hauteur qui caractérise les moteurs construits par le fabricant de motos. Parfait. S’il me cherche, lui, il va m’avoir. Je commençais à trouver le temps long, seul à mon feu rouge, avec encore une trentaine de kilomètres avant de rejoindre mes pénates. La fin de journée est calme, la circulation clairsemée, les chevaux vont pouvoir s’exprimer à plein. Je savoure d’avance le bond que ne manquera pas de faire ma sportive quand j’embraierai la première à quatre mille cinq-cents tours/minute .

Le feu bascule enfin. En un double hurlement, chacune des mécaniques propulse nos huit roues qui déposent leur signature sur l’asphalte. Les dents serrées, je constate qu’il a pris un meilleur départ que moi. La portion de route qui se profile sous nos yeux est relativement droite, je devrais pouvoir rattraper mon retard, considérant le fait que je suis doté d’une propulsion, plus efficace qu’une traction à puissance égale. Pied au plancher, j’aperçois le feu sur lequel j’arrive se teinter d’orange. Ni moi, ni l’autre n’avons le moindre mouvement pour ralentir. Le feu n’est plus mûr, mais blet quand nous le franchissons. Il est toujours devant moi. L’accélération des moteurs capables de très hauts régimes est vraiment redoutable. Autour de nous, les habitations se font de moins en moins denses à mesure que nous nous éloignons rapidement du centre-ville. A très haute vitesse, je commence enfin à sensiblement réduire mon retard. Il va être très difficile de le dépasser, à présent que nous sortons de l’agglomération et que la route serpente de plus en plus. Je constate que mon adversaire ne me facilite pas la tâche en prenant ses virages très proprement. Trop gourmand, j’arrive un peu vite dans le virage suivant, qui s’avère plus sec qu’il n’y paraissait. Je freine à bloc, et sens mon train arrière perdre adhérence. Je suis au bord du tête-à-queue quand je contrebraque in extremis. L’arrière de l’Alpha revient, mais je dois contrebraquer encore pour reprendre totalement le contrôle de l’engin. Je m’arque-boute sur l’accélérateur. Les roues arrière ont repris du grip, je rebondis. De retour dans la course, reprendre à l’adversaire l’avance que mon erreur a occasionnée ne va pas être simple. Il s’avère en effet bien plus coriace que je ne l’avais cru de prime abord. Je vais chercher chaque dixième de seconde avec les dents. J’utilise toute la largeur de la chaussée, audace qui me permet de voir ses feux arrière jusqu’à pouvoir lire le « type R » en relief sur le côté droit du hayon. Complètement défoncé à l’adrénaline, je profite de l’aspiration pour déboîter et tente un dépassement. La ligne droite qui se profile devant nous est courte, mais je me dis que je l’enquillerai dans l’intérieur du virage à gauche suivant. Le risque est grand, mais dépasser ce trou du cul dans le hurlement et les vibrations de la mécanique a quelque-chose d’extrêmement jouissif. Au moment du freinage, juste avant l’entrée du virage, mon capot dépasse le sien. Je suis large. A la sortie de la courbe, je n’aurai plus qu’à me rabattre, devant lui. Je suis concentré sur le point de corde quand je prends conscience qu’il est obstrué par un énorme semi-remorque. Les récepteurs synaptiques déjà sursaturés d’adrénaline, je ne parviens même pas à avoir peur. Je n’ai de toute façon pas le temps de crier. Dans un fracas épouvantable, le raz de marée de douleur qui me traverse s’éteint très vite, et le regard sur mon pare-brise disloqué, je sens ma conscience se fissurer. Je n'ai plus alors de sensations physiques, et ma pensée est bloquée sur les éclats de verre encore sertis sur le joint tordu du montant de portière quand ma vision me trahit. Plus aucun de mes sens ne fonctionne plus alors, et, déjà jeté dans les ténèbres, enfin, je sombre.

alpha02petit

5 novembre 2008

Avant-propos

Bonjour, et bienvenue à tous.

Avant d'entrer dans le feu de l'action, je me permets juste un ou deux mots :

Ce feuilleton sera hebdomadaire. Chaque épisode sera posté dans la journée du lundi, sauf si internet déconne, ou si c'est une semaine où le lundi tombe un dimanche.

L'ordre d'affichage des messages/épisodes se fait du plus ancien au plus récent, pour un évident souci de commencer par le début. Donc, si la page d'accueil reste obstinément sur le premier épisode, ce n'est pas uniquement parce que j'ai la flemme d'écrire le reste.

Voilà. Avec un peu de chance, ce message sera le seul bla-bla qui ne contribue pas à l'histoire.

Bonne lecture !

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Le feuilleton du reptile
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