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Le feuilleton du reptile
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2 décembre 2008

Episode 5

De papier mâché en 9mm

 

Je me revois alors en vue objective, en une projection mentale capable de synthétiser une vie en quelques secondes. Elle commence dans un tout petit appartement, où s’ébat ma sœur de trois ans mon aînée. J’entends mes parents au-dessus de moi me dorloter et m’appeler par mon prénom. Je m’appelais Stéphane. La tapisserie est orange et brun. L’école. Taciturne et pas bien gros, je dois lutter dès la primaire pour qu’on me fiche la paix. C’est plus tard au collège que je commence à m’intégrer quand ma poussée de croissance et de maturité m’amène rapidement à dominer mes congénères en taille et en carrure. Fort de cette suprématie physique nouvelle, je tâche de m’imposer dans la cour, au prix de quelques affrontements avec les autres prétendants au titre de chef d’influence du bahut. Cela draine vers nous nombre de nymphettes avec lesquelles nous apprenons la langueur, et l’érotisme en fin de cursus. Question érotisme, c’est un peu expérimenté mais mal dégrossi que je débarque au lycée. L’établissement est passablement délabré, mais je m’y sens bien. Il y a un étang et des canards devant ce dernier. Profs, nanas, beuveries et peu de boulot. Un ou deux accrochages avec l’autorité. Au début. Je comprends vite que ma carrure athlétique ne va pas suffire pour la suite. Mes congénères achevant tous plus ou moins leur poussée de croissance, il va me falloir cultiver l’intellect. Peu économe sur les moyens, je m’y jette à corps perdu, jusqu’à me constituer un dossier en béton armé qui m’ouvre les concours aux plus prestigieuses écoles une fois mon bac décroché avec mention et honneurs. Boursier, je jette mon dévolu sur une prépa, puis sur HEC. Cela s’avère rapidement un excellent choix. Issu de la méritocratie, je dois me battre pour m’intégrer dans la cohorte de fils et filles de capitaines d’industrie, avocats renommés etc. Arrivé par le bas, j’étudie avec acharnement. Je tâche également de drainer dans mon lit les spécimens féminins qui m’assureront un prestige certain. C’est à cette époque que je rencontre Candice, superbe plante aux yeux verts, qui résiste obstinément à toutes mes tentatives de séduction. Si je ne sors pas major de promo, je suis suffisamment bien diplômé pour intégrer le poste de directeur général d’une petite filiale d’un grand groupe métallurgique. J’ai bien sûr gardé le contact avec nombre de mes anciens camarades, du moins avec ceux qui se sont le mieux placés. DG avisé, je fais rapidement prospérer ma boîte, jusqu’à décrocher de juteux contrats avec Heckler&Koch, sommité de la fabrication d’armes autrichienne. C’est à ce moment-là que ça se complique sévèrement, je commence à empiéter sérieusement sur les plates-bandes de certaines personnes plus installées que moi. Combatif, je m’obstine et remporte quelques victoires commerciales qui gonflent les comptes de l’entreprise, au point d’être en position d’avaler un pan significatif d’un groupe concurrent. Récemment admis au conseil d’administration au vu du poids que j’ai pris, je suis alors brutalement désavoué alors que mon plan d’OPA est relativement sûr. C’est à cette période que je revois Candice. Rattachée au ministère de la Défense, elle devient mon interlocutrice concernant la destination des produits qui sortent des usines que je dirige. J’en tombe éperdument amoureux. Jusqu’ici, mes relations s’étaient cantonnées à me dégotter la plus belle pépée possible pour pouvoir l’exposer ensuite dans les fastueuses soirées auxquelles je commençais à avoir accès. J’avais un tableau de chasse assez impressionnant, mais mon intérêt pour mes conquêtes se bornait à apprécier l’admiration qu’elles suscitaient et le fait qu’elles réchauffaient mon lit d’une manière moins impersonnelle et plus moderne qu’une bassinoire. Mais, pour la première fois de ma vie, je conçois de l’amour. Le fait de vouloir cette femme-là et pas une autre, en ne se basant pas que sur des critères plastiques ou politiques. Belle, racée, intelligente, fine et cultivée, elle m’ouvre à d’autres cercles que celui des requins que je fréquente pour des raisons d’ascension sociale. Elle me fait tourner en bourrique pendant quelques semaines avant de se donner à moi. Pendant ce temps, je me désintéresse un peu de mon fief industriel et de l’empire auquel il est rattaché. Il commence même à me peser quand nous nous mettons en ménage, un an plus tard. L’éclat de son regard quand je la porte à travers le seuil de la ferme retapée secrètement par des ouvriers depuis trois mois. Barbecue, jardin paysagé, portion de bois privé, tout y est. J’ai envie de me poser, et recontacte la touche que j’ai eue il y a quelques mois au ministère de la Défense. Je sais que si je laisse maintenant mon fauteuil au conseil d’administration, cela m’assurera une confortable indemnité de départ. Je passe donc du privé au public. Je suis en train de faire mes cartons quand la pire nouvelle de ma vie tombe. Mes parents et ma sœur ont succombé à une intoxication au monoxyde de carbone dans le chalet que je leur avais offert en Suisse. Le choc est rude, et c’est un peu dans le cirage que je débarque au ministère. Le boulot me remet en selle. Je bosse pour le Délégué Général pour l’Armement. Mes connaissances de l’industrie dans cette branche me servent justement beaucoup. Je suis même amené à recontacter d’anciens adversaires. Mon réseau se fortifie et je me prends à rêver d’intégrer le cabinet du ministre, que je connais un peu, et dont le plus proche collaborateur est un ancien d’HEC de la même promo que moi. Je suis le plus jeune à cet échelon de la hiérarchie du ministère, et j’assure comme une bête au boulot, qui consiste à dégoter des lots d’armes légères qui sont ensuite achetées et assignées par mon supérieur. Beaucoup de papiers à traiter. Mais de belles perspectives, alors je m’accroche. Et puis, quand on a chez soi une collègue du ministère, chargée du contrôle, il est aisé d’aller plus vite en jouant un peu avec les procédures. Je deviens du coup d’une efficacité impitoyable. Puis, un beau soir, avec encore plein de perspectives et de projets dans la tête, je me la suis explosée contre un semi comme un con en faisant le chaud. « Et depuis, c’est le bordel », ajouté-je mentalement après que la dernière image se soit éteinte.

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Commentaires
M
vert? bin et moi, tu m'aimes pu?
J
c'est net, vive les yeux verts !
W
Excellent. Décidément, tu aimes ça les yeux verts dans tes histoires.
T
...mais que ça ne se reproduise pas ! (voix sévère)
G
Hum...!<br /> <br /> excusé
Le feuilleton du reptile
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