Episode 3
Parabellum
La
nuit est plus qu’avancée quand je parviens à la porte du fond du jardin. Une
puanteur soufrée nimbe l’air ambiant. Redoutant le pire, je pousse le vieux panneau
de bois vermoulu et pénètre dans ma propriété. Je me trouve alors face à un
spectacle apocalyptique. Plusieurs des arbres de mon jardin paysagé ont été
déracinés par des explosions. Mon barbecue jadis en dur est à présent en
miettes. L’appentis et mon tracteur-tondeuse flambant neuf ont brûlé. Pas une
pierre de chaque mur n’est exempte d’impact de balles. Tout à l’heure, sur la
route, c’est à moi qu’ils en voulaient. Comme ils ne m’ont pas trouvé, ils se
sont mis à ma recherche. Ils ont donc logiquement atterri chez moi. Candice !
Mon imagination déborde malgré mes efforts pour la contenir. Candice… J’ouvre
la porte de derrière à la volée, et traverse prestement ma maison ravagée.
Depuis les quatre ans que je suis propriétaire, j’ai transformé l’ancienne
ferme et investi dans du mobilier design. Mes invités surprise me l’ont
rectifié d’une manière très audacieuse, bien qu’un peu punk à mon goût. Impacts
de balles obligent, mes casseroles sont des passoires, la table renversée a été
littéralement déchirée (je crois reconnaître la signature du gros flingue tchèque),
et, surtout, de monstrueuses taches de sang donnent une petite touche agressive
à mon intérieur. Candice ! Ce n’est sûrement pas elle qui a défendu la
maison avec autant d’acharnement, et surtout pas à la mitraillette. Courant
dans la maison, je trouve chaque pièce saccagée. Arrivé dans la chambre, je
dois me rendre à l’évidence. Candice n’est pas dans mes murs. Peut-être
a-t-elle échappé au massacre. Désemparé, j’arpente la maison dévastée.
Soudain,
un bruit provient du hall. Je m’y rue, et pousse violemment le battant de la
porte. Il heurte de plein fouet la tête d’un homme qui part à la renverse,
lâchant l’arme qu’il brandissait. Vif comme l’éclair, il se remet sur ses pieds
et me saute au cou. En une manchette bien sentie sur son crâne rasé, je
l’esquive. Il repart s’étaler plus loin. Tandis qu’il se relève en se massant
l’occiput, je fonds sur l’arme. C’est un énorme revolver dont la patine luit
d’un éclat noir. Je mets l’homme en joue, en hurlant des imprécations aussi
désordonnées qu’inefficaces. Il se jette sur moi en me saisissant le poignet
droit (qui tient l’arme) et me décoche un puissant crochet. Suivant l’élan que
ma tête induit, je me retourne, me dégage de sa poigne d’un coup de poing dans
son avant-bras, lui envoie mon coude droit dans l’orbite gauche et le remets en
joue tandis qu’il retourne embrasser mon carrelage, le marquant d’une énième
tache de sang. Je n’hésite pas cette fois-ci. A mon grand étonnement, mon bras
absorbe facilement le recul du monstrueux flingue, qui crache une série
d’immenses gerbes de feu dans un fracas assourdissant tandis que je lui vide le
barillet dans le corps. Les yeux ronds, je jette un coup d’œil à l’engin de
mort. Smith & Wesson modèle 29, chambré .44 magnum. Je crois me souvenir
que c’est le calibre de l’inspecteur Harry. A ce tarif-là, le guignol que j’ai
allumé ne doit pas en mener large. A travers la fumée qui se dissipe, je
constate que c’est encore pire que ce que j’aurais pu imaginer. Ce n’est même
plus un cadavre que j’ai en face, mais une charpie. Mon hall est définitivement
irrécupérable. S’ils ont tous employé ce genre d’arme dans ma maison, je
comprends mieux qu’elle soit à ce point repeinte. Pris d’un haut-le-coeur, je
me retourne, laissant échapper le .44. N’ayant rien à vomir, traversé de
violents spasmes, je déverse un peu de bile tandis que l’odeur de poudre m’est
de plus en plus insupportable. Je me reprends rapidement en entendant deux ou
trois véhicules pénétrer dans ma cour. Encore une bande de salopards motorisés
armés jusqu’aux dents ? Maîtrisant ma répulsion, je fouille le tas de
chair qui souille mon salon dans l’espoir de trouver d’autres munitions pour le
gros revolver. Je trouve trois cylindres de chargement rapide dans son
pantalon, en plus de celui qui a été projeté à deux mètres de la charogne
sanglante. J’en ouvre un, et constate que le salopard que je viens de refroidir
utilisait des balles à tête creuse. Décidément, c’est quoi ces mecs ?! Je
n’ignore pas que ce type de munition n’est pas fait pour percer, mais pour
ravager les tissus. Je frissonne en m’imaginant à la place du type qui s’est
pris six de ces sales trucs. Je suis en train de déverser les balles dans leurs
chambres quand la porte d’entrée s’ouvre à la volée derrière moi. Je rabats
prestement le barillet et me retourne dans le même mouvement, pour me trouver
face à quatre gendarmes horrifiés, tous calibres dehors. Ils se mettent tous
quatre à me hurler de lâcher mon arme, l’attention détournée par le tas de
viande qui traîne derrière moi. Déjà dégoûté du précédent massacre,
j’obtempère. Ils se ruent alors sur moi, me plaquent au sol et me menottent
dans une débauche de mouvements désordonnés. Au bord de la panique, ils se
rassérènent un peu en me voyant ainsi neutralisé. L’un d’eux se retourne sur
mon œuvre ensanglantée, et court aussitôt au dehors. Deux des trois pandores
restés à l’intérieur me relèvent tandis que le dernier ramasse
précautionneusement l’arme du crime. Encadré de près, je traverse la cour vers
un des fourgons bleu marine stationnés près du porche. A ma droite, le tendron
arrose mes massifs avec son petit-déjeuner. Le soleil commence à se lever quand
le fourgon démarre. Je savoure l’explosion de couleurs changeantes que me
montrent les nuages. Bizarrement, je commence enfin à être serein. Je ne
comprends ni n’intègre toujours pas les événements des douze dernières heures,
mais je me sens étonnamment calme, peut-être par contraste avec l’excitation
frénétique et véhémente des deux militaires à l’avant de la camionnette.
M’ignorant totalement, ils commentent fiévreusement ce qu’ils ont vu,
probablement pour la première fois de leur carrière.